Boucle 0 et avant

Véronique, Michel et Hélène Meyer

Le modèle de la spirale dynamique décrit avec précision le fonctionnement des individus et des sociétés humaines, ainsi que celui des organisations. Fabien Chabreuil écrivait en juillet 2005 :

S'appuyant sur la mémétique, la Spirale Dynamique fait l'hypothèse que c'est [par l'imitation] que se répandent les différents niveaux d'existence, qu'elle a appelés pour cette raison vMèmes. À partir du moment où l'imitation, le langage et la culture ne sont plus l'exclusivité de l'espèce humaine, de passionnantes questions sont soulevées. Certaines espèces animales connaissent-elles une évolution culturelle semblable à celle décrite par la Spirale Dynamique ? Vivent-elles des équivalents simplifiés de BEIGE et de VIOLET ? Ou bien y aurait-il avant BEIGE d'autres niveaux non encore cartographiés ? Et pourquoi pas une boucle entière ?

Il précisait en octobre 2010 :

J'avais émis, il y a un peu plus de 5 ans […], l'hypothèse d'une « boucle 0 » précédant la première boucle de la Spirale Dynamique et décrivant l'évolution animale. Cette conjecture a le double avantage de permettre une description plus subtile de la vie animale et de marquer la spécificité de l'espèce humaine — que les faits rendent difficilement contestable même pour le partisan du « toute vie » que je suis — tout en la plaçant dans la continuité de l'évolution.

Partant de cette hypothèse, nous avons cherché à étendre le modèle de la spirale dynamique au règne animal, voire à toute forme de vie. Ce texte ne se veut pas une contribution définitive sur le sujet, mais il marque un moment où notre réflexion est suffisamment avancée pour être partagée, discutée et améliorée par des contributions et échanges divers.

Boucle 0

Nous avons donc commencé par réfléchir à la boucle 0 qui décrirait l'évolution du règne animal. Pour cela, en nous focalisant sur le monde animal, nous avons repris le buisson du vivant avec ses deux branches dont l'une se termine par les arthropodes dont les insectes constituent le phylum le plus récent, tandis que l'autre aboutit aux vertébrés dont le phylum le plus récent correspond aux mammifères. Nous avons tenté de définir les caractéristiques de chaque vMème pour la trentaine de phylums que l'on retrouve le long de ces branches et nous nous sommes appuyés sur quelques exemples d'espèces animales appartenant à certains de ces phylums pour étayer nos propositions.


Arbre généalogique simplifié du règne animal
H Boué et R Chanton, Zoologie, Tome I, 4e édition

A0N0

Au début de la classification du règne animal, nous trouvons les formes les plus élémentaires dont le seul objectif est la survie.

Les phylums concernés

Il s'agit des spongiaires qui filtrent l'eau, des cœlentérés (hydres, coraux et méduses) qui captent ce qui passe à leur portée, et qui ont une cavité gastrique. Les vers (plathelminthes, némathelminthes, annélides) qui se nourrissent de déchets organiques à haute valeur nutritive et se déplacent.

Pour la branche qui se termine aux insectes, les espèces faisant partie des quatre phylums (mollusques, crustacés, myriapodes, arachnides) sont encore dans ce niveau A0N0, et ceci est également vrai pour des espèces solitaires d'insecte (ex : papillons, mouches). De même, pour la branche qui se termine aux vertébrés, les reptiles et amphibiens sont également dans le mode survie et sont à rattacher au niveau A0N0.

Principales caractéristiques

Ces animaux passent la majeure partie de leur temps à se nourrir. Ils ont peu d'impact sur l'environnement.

Mode de vie Fixé ou libre. Filtrent l'eau en permanence pour se nourrir ou captent ce qui passe à leur portée
Espèces concernées Toute forme élémentaire : spongiaires, hydres, anémones, coraux, méduses, mollusques, arthropodes, insectes solitaires (papillons, mouches etc.), certains reptiles (lézards, tortues, serpents), certains amphibiens
Objectif Survivre
Structure sociale Solitaire, bandes
Thème À définir
Caractéristiques Assurer sa survie. Peu d'impact sur l'environnement.
Apprentissage Aucun
Apparition À rechercher
% d'animaux à ce niveau À évaluer
Alimentation Simple. Plancton, petits organismes, voire grosses proies (pour les serpents par exemple)

B0O0

À ce niveau, on trouve des espèces dont l'objectif est d'être en sécurité au sein d'un groupe : bancs de poissons, petites colonies d'insectes, troupeaux de mammifères sauvages (chevaux et ruminants). On peut peut-être ajouter les espèces d'oiseaux qui migrent en groupe : hirondelles, cigognes, oies, etc.

Les phylums concernés

On trouve à ce niveau les poissons vivant en banc qui cherchent à se protéger par le camouflage, le déplacement en bande (sardines, harengs, maquereaux), et l'utilisation de cachettes. Leurs moyens de défense sont encore trop rudimentaires pour être efficaces, et pour ne pas disparaître, ils compensent leur faible taux de survie par une reproduction sous forme de pontes de millions d'œufs.

Pour les insectes, on regroupe dans ce niveau les espèces d'hyménoptères sauvages devant former de petits essaims.

Les mammifères sauvages passent la plus grande partie de la journée à brouter et/ou à ruminer. Le groupe se déplace pour chercher de nouvelles pâtures. Leur principal moyen de défense est la fuite en troupeau serré. Ils sont guidés par un chef de bande ; celui-ci s'impose dans des combats ritualisés qui ne provoquent ni décès ni blessure, sauf par accident.

Principales caractéristiques

Leur mode de vie est essentiellement nomade. Ils obéissent aux lois d'un groupe et en respectent le chef. Le groupe se déplace sur un territoire défini et protégé par l'ensemble des individus. Ils ont un mode de communication posturale.

Mode de vie Nomade
Espèces concernées Poissons en bancs, insectes en essaim, chevaux et ruminants sauvages
Objectif Être en sécurité dans un groupe
Structure sociale En groupe : banc, essaim, horde, avec un chef parfois
Thème À définir
Caractéristiques Obéissance aux lois du groupe, respect du chef
Territoire défini et protégé
Communication posturale
Apprentissage ?
Apparition À rechercher
% d'animaux à ce niveau À évaluer
Alimentation Diversification alimentaire (plancton, petits poissons, végétaux)

C0P0

À ce niveau, l'objectif est de dominer et avoir de l'influence sur les autres.

Les phylums concernés

On y trouve les pinnipèdes (morses, phoques, etc.) et des mammifères terrestres qui sont de grands prédateurs : meutes de loups et de canidés sauvages, félins sauvages (ex : lions, guépards, etc.), certains reptiles (crocodiles), etc.

Principales caractéristiques

Les groupes sont très hiérarchisés. Le chef s'impose au cours de combats très violents pouvant parfois entraîner la mort de l'un des deux protagonistes, et il se bat pour avoir le contrôle du groupe, du territoire et des femelles.

Au sein du groupe, on voit apparaître une certaine individualité. Les proies obtenues par une chasse solitaire ou construite en groupe, ne sont pas partagées mais dévorées par les individus les plus haut placés dans la hiérarchie. Les derniers mangent les restes, voire rien du tout.

Le fait de consacrer moins de temps à la recherche de nourriture permet aux animaux centrés à ce niveau de diversifier leurs activités : repérage des proies, mise en place de stratégie de chasse, d'une vie de groupe avec jeux, maternage des jeunes avec apprentissage par imitation (la mère montre à ses petits les techniques utilisées).

La structure sociale est la meute pour les femelles et les jeunes accompagnés du mâle dominant, les autres mâles adultes restant solitaires.

Mode de vie Diversifié : chasse, vie de groupe, maternage, jeux
Espèces concernées Grands prédateurs : loups, lions, crocodiles, etc.
Objectif Dominer et avoir de l'influence sur les autres
Structure sociale Meute ou solitaire
Thème À définir
Caractéristiques Chasse active, efficace, ciblée et stratégique : chargent leurs proies
Combats pour avoir le contrôle du territoire et des femelles
Hiérarchie par la force
Apprentissage Par imitation : la mère montre à ses petits. Jeux.
Apparition À rechercher
% d'animaux à ce niveau À évaluer
Alimentation Aliments très nutritifs (une prise alimentaire par semaine en moyenne)

D0Q0

À ce niveau, la Vérité Ultime correspond à une sorte d'ordre biologique établi à qui tout individu se réfère. L'objectif est donc de maintenir cet équilibre biologique en s'attachant à établir un équilibre de la communauté par une répartition très structurée des tâches. Cette recherche d'ordre et le suivi de règles établies vont permettre de structurer la vie collective et individuelle des membres du groupe.

Les phylums concernés

Les phylums concernés correspondent à celui des insectes eusociaux, avec des espèces telles que les abeilles, les fourmis et les termites, ainsi qu'à celui de certains mammifères, avec des espèces telles que les rats-taupes et les suricates.

Principales caractéristiques

La structure sociale se fait en castes hiérarchisées : pour les suricates, guetteurs, nourrices, etc. ;  pour les rats taupes, ouvrières, nourrices, soldats, harem de mâles ; pour les abeilles, ouvrières, soldats, éclaireuses, ventileuses, nourrices, reine, etc. qui sont régulées par des signaux chimiques.

Chaque individu reste dans sa caste (sacrifice de soi au profit du groupe) afin d'assurer un fonctionnement optimal de la colonie. Toutefois, au sein de la colonie, des évolutions semblent possibles : par exemple pour les abeilles, les ouvrières peuvent passer de nourrices à butineuses, voire éclaireuses.

Au niveau alimentation, on voit apparaître la capacité à faire des réserves permettant de passer de longues périodes de disette comme l'hiver.

La communication est posturale, et la décision pour choisir un nouvel abri lors de l'essaimage des abeilles ou des fourmis se fait à partir du moment où un nombre donné d'éclaireuses a opté pour ce nouvel abri (décision au quorum1).

Mode de vie Activités variées sectorisées : ouvrières, soldats, reine, éclaireurs etc.
Espèces concernées Insectes eusociaux : abeilles, fourmis, termites. Certains mammifères : rats-taupes, surricates
Objectif Maintien de l'ordre biologique
Structure sociale Castes hiérarchisées
Thème À définir
Caractéristiques Sacrifice de soi au profit du groupe
Acceptation de sa place
Suivi de règles établies dans le groupe
Recherche d'ordre pour structurer la vie collective et individuelle : système optimisé pour le fonctionnement de la ruche
Apprentissage Création des castes par signaux chimiques
Apparition À rechercher
% d'animaux à ce niveau À évaluer
Alimentation Réserves
Exemple de structure holarchique dans la boucle 0

Le cas des abeilles illustre bien le passage par les différents vMèmes :

  • A0N0 : survie correspondant à la collecte de pollen.
  • B0O0 : recherche de sécurité au sein d'un groupe avec formation d'essaim.
  • C0P0 : derrière le calme apparent d'une ruche, deux événements sanglants montrent la domination :
    • la mise à mort entre les futures reines dont une seule sortira vainqueur ;
    • l'élimination des faux-bourdons qui, après le vol nuptial au cours duquel ils ont fécondé la reine et assuré la pérennité de la ruche, ne sont plus autorisés à rentrer dans la ruche et meurent de faim.
  • D0Q0 : société très hiérarchisée composée de castes avec la reine comme guide.

E0R0

Il apparaît à ce stade une notion de confort de vie et de bien être qui est apportée par l'utilisation de techniques performantes et d'outils. À ce niveau d'existence, la ruse est utilisée pour profiter des ressources d'autres espèces animales.

Les phylums concernés

Nous avons classé ici des espèces appartenant au phylum des oiseaux (corvidés, perroquets) et des mammifères (ours et loutres). Voici quelques exemples de comportements illustrant ce niveau d'existence :

  • Les corvidés sont passés maîtres dans l'utilisation de cachettes et sont capables de leurrer un congénère qui le surveille en feignant de cacher la nourriture dans une fausse cachette.
  • Entre deux plongées pour chercher sa nourriture, la loutre passe son temps à faire la planche ce qui lui permet de se nourrir en cassant les crustacés et coquillages à l'aide d'une pierre plate posée sur son estomac (bel exemple d'utilisation d'outil), de porter son petit et de le sécher de son souffle quand il a été au contact de l'eau, de faire sa toilette, et de dormir quelques fois enroulée dans les longues algues qu'est le kelp afin d'éviter de dériver avec les courants2.
  • Les ours utilisent une pierre rugueuse pour se laver le museau.
Principales caractéristiques

Leur structure sociale peut être solitaire ou en petits groupes. Leurs capacités cognitives sont importantes et leur permettent de mettre au point de nouvelles technologies et des stratégies élaborées. L'apprentissage se fait par imitation et expérimentation.

Mode de vie Activités diversifiées impliquant la recherche de confort de vie et de bien être, et parfois le jeu
Espèces concernées Corvidés, perroquets, ours, loutres
Objectif Préserver et améliorer les ressources individuelles en rusant si nécessaire
Structure sociale Solitaire ou en petits groupes
Thème À définir
Caractéristiques Inventer des technologies pour améliorer son confort de vie
Recherche de l'indépendance
Capacités cognitives améliorées
Calcul dans le but de servir ses intérêts (ex. : corvidés qui miment une fausse cachette pour leurrer un congénère et l'empêcher de lui dérober sa cacahuète)
Apprentissage Expérience et imitation
Jeu
Apparition À rechercher
% d'animaux à ce niveau À évaluer
Alimentation Nourriture abondante et de qualité

F0S0

Le développement de l'empathie déjà présente chez tous les mammifères permet à certaines espèces d'atteindre le niveau F0S0. En effet, cela permet une entraide au sein du groupe, une vie harmonieuse où les ressources sont partagées.

Les phylums concernés

Des mammifères terrestres appartenant à l'ordre des proboscidiens (famille des éléphants) ont atteint ce niveau. C'est aussi le cas de mammifères marins comme les orques et les baleines, et probablement de toutes les autres espèces de l'ordre des cétacés (dauphins, rorquals, narval, béluga, marsouins, cachalots).

Voici quelques exemples de comportements illustrant ce niveau d'existence :

  • « Depuis quelques années, on a en effet des exemples nombreux et troublants : des dauphins qui soutiennent un compagnon blessé pour le faire respirer à la surface, des éléphants qui s'occupent avec beaucoup de délicatesse d'une vieille femelle aveugle… Je pense que l'empathie est apparue dans l'évolution avant l'arrivée des primates : elle est caractéristique de tous les mammifères et elle découle des soins maternels. Lorsque des petits expriment une émotion, qu'ils sont en danger ou qu'ils ont faim, la femelle doit réagir immédiatement, sinon les petits meurent. C'est ainsi que l'empathie a commencé. Ça explique aussi pourquoi l'empathie est une caractéristique plus féminine que masculine3 », affirme le primatologue Frans de Waal.
  • Lorsqu'un éléphanteau tombe dans un trou d'eau où il n'a pas pied, toute la colonie s'unit pour sauver l'éléphant. Certains surveillent les alentours pour voir venir un danger, certains descendent dans le trou pour soutenir le petit et lui éviter la noyade, certains cherchent une issue plus facile pour le sortir de l'eau, d'autres creusent, d'autres le rassurent… pour finir par réussir le sauvetage.4
  • Un groupe d'éléphants est dirigé par une matriarche, mais elle n'a qu'une autorité de compétence : elle guide la famille et protège des prédateurs. Elle est courageuse et prête à tout pour sa famille. Ses qualités : amour et protection. La famille éléphant est une famille unie.
  • « Les baleines sont probablement les mammifères les plus connectés socialement, communicatifs et coordonnés sur la planète, même en comptant les humains, explique [la neurobiologiste Lori] Marino. Les orques par exemples ne se tuent ou ne se blessent pas entre eux dans la nature, malgré le fait qu’ils soient parfois en compétition pour une proie ou pour s’accoupler et qu’il y ait des désaccords. Leurs règles sociales n’autorisent pas la vraie violence, et il semble qu’ils aient trouvé des manières pacifiques capables de régler la répartition des ressources entre différents groupes5. »
  • Des baleines à bosses ont été observées en train de tenter de sauver un bébé baleine grise, ce qui correspond à de l'entraide et de la solidarité entre espèces6.
  • Mieux, on trouve chez ces espèces de comportements de consolation. « Des chercheurs de l'université Emory d'Atlanta, en Géorgie, ont démontré pour la première fois que des éléphants cherchaient à consoler un de leurs congénères vivant une situation de stress. Ils s'approchent de lui et cherchent un contact physique comme toucher sa tête avec leur trompe ou même mettre leur trompe dans sa bouche, ce qui est un signal très fort de vulnérabilité choisie et donc de confiance. Ils émettent aussi des sons qu'ils ne produisent jamais quand ils sont seuls. Les éléphants manifestent aussi le phénomène proche de l'empathie appelé « contagion émotionnelle » en adoptant une attitude et un état émotionnel semblables à celui de l'animal en détresse7
Principales caractéristiques

Au global, la vie sociale de ces groupes est très harmonieuse et organisée. Ils sont nomades et à la recherche de nourriture abondante, distribuée de façon équitable. Leur mode de communication est très élaboré au sein du groupe et également entre les communautés, ce qui leur permet de former des réseaux. Les exemples cités ci-dessus illustrent l'entraide qui peut se développer entre les individus du groupe. L'apprentissage se fait sur des modèles proche de « l'école » où des adultes autres que les parents peuvent enseigner à un jeune leur expérience, grâce à la confiance qui règne entre les différents membres du groupe.

Mode de vie Nomades, en groupe avec une vie sociale organisée.
Espèces concernées Éléphants, orques, dauphins, baleines
Objectif Appartenir à un groupe menant une vie égalitaire en harmonie
Structure sociale Communautés, réseaux
Thème À définir
Caractéristiques Distribution des ressources à tous
Sens de la communication
Empathie et entraide au sein de la communauté
Rituels mortuaires (éléphants)
Reconnaissance de soi (éléphants)
Altruisme (éléphants)
Automédication (éléphants)
Apprentissage « École. » Imitation. Jeux.
Apparition À rechercher
% d'animaux à ce niveau À évaluer
Alimentation Diversifiée
Exemple de structure holarchique dans la boucle 0

Le cas des éléphants illustre bien le passage par les différents vMèmes :

  • A0N0 : allaitement de l'éléphanteau.
  • B0O0 : conscience de sa mère par l'éléphanteau qui doit apprendre dès sa naissance à la reconnaître et à la suivre.
  • C0P0 : phase des jeux entre éléphanteaux ; moments où l'éléphanteau peut s'éloigner du troupeau en se mettant en danger.
  • D0Q0 : intégration des règles de la communauté8 ; le jeune éléphant apprend quelle y est sa place.
  • E0R0 : acquisition de l'indépendance et de l'autonomie (reconnaissance des aliments, mise en pratique de toutes les techniques enseignées par sa mère et les éléphants les plus âgés).
  • F0S0 : intégration dans la communauté (affection et entraide).

G0T0

Il s'agit là du niveau AN-Beige de la spirale dynamique des humains.

La problématique des grands primates

Il nous reste le phylum des grands primates : gorille, chimpanzé, bonobo, orang-outan. Pour eux, nous avons deux options et nous manquons encore d'éléments pour choisir entre elles :

  1. Leur structure familiale rappelle celle des hommes préhistoriques. Ils vivent en bande et en hordes organisées. Ils suivent leurs instincts et cherchent à assurer leur survie physique. Les hordes de grands singes sont très évoluées dans le règne animal et sont capables d'empathie au même titre que les humains. On peut alors envisager de les placer en G0T0 (ou AN-Beige). En plaçant les humains à leur émergence et les grands primates au même niveau de la spirale dynamique, cette solution a l'avantage de bien marquer la continuité du vivant et d'inciter l'humanité à une certaine modestie à un moment où elle en a bien besoin après les dégâts faits par le sentiment de toute puissance de notre incarnation de ER-Orange.
  2. En même temps, aussi proches de nous qu'ils soient, il semble qu'il y ait entre les grands primates et les humains un écart qualitatif réel. Des travaux récents suggèrent que ces différences « sont sans doute en grande partie explicables par un petit changement au niveau de la capacité de la mémoire de travail qui est notre aptitude à mémoriser et manipuler des éléments d'information dans notre esprit. Chez les êtres humains, elle croît jusqu'à l'âge de 11 ans et pourrait atteindre, en corrélation avec le QI, 7 à 9 éléments contre 2 à 3 chez les chimpanzés. La capacité de sa mémoire de travail rendrait l'être humain capable d'une pensée récursive (réfléchir à ses processus de réflexion) qui serait la clé de sa différentiation avec le reste du monde animal9. » Dès lors, si on place les primates en fin de boucle 0, « on aurait peut-être là le mécanisme provoquant le changement de boucle10 », quelque chose de semblable au « quantum leap » que Clare W. Graves voyait entre la première et la deuxième boucle.

Bien évidemment, c'est sur la base de critères biologiques, éthologiques et zoologiques qu'il faudra trancher entre ces deux hypothèses.

Boucle −1

Si l'hypothèse de l'existence d'une boucle 0 se confirme pour les organismes eucaryotes (possédant un noyau) dont l'apparition sur terre remonte à environ 500 millions d'années, peut-être peut-on aussi envisager une boucle  −1 pour des organismes encore plus primitifs que sont les bactéries et les archébactéries, ancêtres des eucaryotes et dont l'existence remonte à 3,5 milliards d'années. Ces procaryotes (ne possédant pas de véritable noyau) dont le nombre d'espèces avoisinerait 5 à 10 millions représentent la majeure partie de la biomasse sur terre et sont présents partout à la surface du globe, des océans aux pôles en passant par les déserts. Dans ce monde invisible se forment des communautés que l'on retrouve par exemple au niveau des racines et des feuilles des végétaux, ainsi que sur la peau ou dans l'estomac des animaux.

Cependant, il faut imaginer que les conditions qui ont prévalu sur terre depuis sa formation (5 milliards d'années) ne sont pas celles qui existent de nos jours. En effet, notre planète devait être plus chaude, son atmosphère renfermait très peu d'oxygène mais une forte teneur en méthane et en gaz carbonique (CO2) et, sans couche d'ozone, la surface terrestre devait être stérilisée par l'action des rayonnements ultraviolets (UV) du soleil. L'apparition de la vie a donc dû avoir lieu dans les océans. Un milliard d'années va s'écouler à la suite duquel l'atmosphère primitive de notre planète va se modifier sous l'action de bactéries photosynthétiques (capables de capter et d'utiliser l'énergie lumineuse). La photosynthèse permettant à ces bactéries de fabriquer de l'oxygène et de fixer le CO2, l'atmosphère va progressivement s'enrichir en oxygène et le méthane en s'oxydant va se transformer en CO2. Cet épisode est qualifié de « Grande Oxydation ». Ce bouleversement de la composition atmosphérique va permettre la formation de la couche d'ozone qui va atténuer l'action nocive des UV ; de même, le piégeage du CO2 s'accompagnant de celui du calcium va conduire à la formation de calcite. Cette fixation du CO2 va contribuer au premier puits biologique de carbone et à la désacidification des océans tandis que la diminution de la teneur du méthane et du CO2 dans l'atmosphère va éviter l'effet de serre que ces deux gaz engendrent. Les conditions seront dès lors réunies pour que la vie sur les continents devienne possible ; elle aura lieu il y a environ 450 millions d'années avec l'apparition des premières plantes primitives minuscules dépourvues de feuilles et de racines. Dans le milieu marin, les premières cellules eucaryotes vont se former, l'hypothèse la plus vraisemblable étant celle d'une « ingestion » de bactéries par la cellule. Une de ces bactéries donnera naissance à la mitochondrie permettant la respiration cellulaire tandis qu'une autre espèce bactérienne deviendra le chloroplaste permettant la photosynthèse chez les plantes. Puis, l'évolution va s'accélérer pour aboutir à l'explosion cambrienne (−540 millions d'années) qui va voir la naissance d'une multitude d'organismes pluricellulaires, ancêtres des formes de vie modernes, alors que durant 3 milliards d'années, la vie était restée majoritairement unicellulaire. Il est possible que des culs-de-sac évolutifs aient pu exister avant le Cambrien comme le montrent par exemple les fossiles d'Ediacara découverts en Australie (organismes pluricellulaires à corps mou) dont on ne sait pas trop à quelle branche de l'arbre du vivant ils se rattachent.

  • A−1N−1 : les données récentes portant sur la taxonomie des procaryotes indiquent que leur ancêtre commun devait être (hyper)thermophile et aurait donc pu survivre dans les conditions extrêmes régnant au début de la formation de la terre. Cette capacité à résister à la chaleur ou aux radiations existe d'ailleurs chez des bactéries actuelles (phylum Deinococcus-thermus). Récemment, des explorations sous-marines à 2 500 m de profondeur ont révélé au niveau de cheminées hydrothermales (qui se forment là où le magma remonte à la surface de la croûte terrestre) l'existence notamment de bactéries capables de vivre dans des conditions environnementales extrêmes (obscurité totale, pression énorme, présence de métaux lourds). Cette découverte montre que, même en absence de lumière mais à l'abri des UV, la vie terrestre aurait pu apparaître à ce niveau.
  • B−1O−1 : l'existence de communautés bactériennes est attestée par la formation de roches fossiles datées de 3,5 milliards d'années (les stromatolites). Des champs de stromatolites actuels existent dans la baie de Shark en Australie. Leur édification résulte du dépôt de couches de calcaires (calcite) par des bactéries filamenteuses, les cyanobactéries.
  • C−1P−1 : ces mêmes cyanobactéries, micro-organismes photosynthétiques, sont considérées comme responsables de la « Grande Oxydation ». Vu l'ampleur de ce phénomène, on peut penser qu'elles se sont imposées durant cette période vis-à-vis des autres espèces bactériennes méthanogènes.
  • D−1Q−1 : la formation de la cellule eucaryotique correspondrait à une endocytose d'une cyanobactérie, ancêtre du chloroplaste et d'une autre bactérie, ancêtre de la mitochondrie. On assiste au fonctionnement d'une « communauté » de génomes dans une même cellule avec le noyau comme guide qui régule le fonctionnement de la mitochondrie et du chloroplaste.
  • E−1R−1 : explosion évolutive au Cambrien avec l'apparition en quelques millions d'années de nombreux organismes pluricellulaires.
  • F−1S−1 : les formations des symbioses entre algue/cyanobactérie (lichen) et bactéries/végétaux primitifs vont permettre un changement de condition de vie en passant du milieu marin à la colonisation de la terre. Ces symbioses nécessitent un développement harmonieux entre ces micro-organismes et les cellules végétales. La photosynthèse assure l'apport de sucres à la bactérie qui en retour alimente la cellule eucaryote en azote. On connaît actuellement les couples légumineuses/Rhizobium qui sont des bactéries capables de fixer l'azote atmosphérique.
    D'autres symbioses entre algues et végétaux primitifs vont également être mises en place avec des champignons. Actuellement, la quasi-totalité des plantes vasculaires terrestres sont mycorhizées par des champignons (truffe/chêne par exemple). Il est fort possible que ces champignons établissent des interactions avec des communautés bactériennes du sol permettant de maximiser la recherche de nutriments et d'éléments minéraux pour le développement optimal des plantes.

Notes

1 Chabreuil, Fabien. « Leçon d'essaim ». 6 décembre 2011.
2 Andre, Jean-François. Les Loutres de mer.
3 Waal, Frans de (interviewé par Levisalles, Natalie). « L'empathie caractérise tous les mammifères ». Libération.fr, 11 mars 2010.
4 « Sauvetage d'un éléphanteau ». Dailymotion, 8 janvier 2011.
5 Warren, Jeff. « Pourquoi les baleines sont aussi des personnes ». Blog Les Dauphins, 9 juillet 2012.
6 « Sept baleines à bosse tentent de sauver un bébé baleine grise ». Dauphins libres, 8 mai 2012.
7 Chabreuil, Fabien. « La consolation des malheureux est d'avoir des semblables ». 1er septembre 2014.
8 Par exemple, le documentaire de Thierry Machado, La Nuit des éléphants, nous montre une matriarche amenant son groupe à un point d'eau qui se révèle être tari. Alors, elle creuse et dévoile un peu d'eau souterraine. Une des filles de la matriarche veut s'approcher pour boire mais elle est remise à sa place par sa mère qui a la priorité.
9 Chabreuil, Fabien. « Fossé ou abîme ? ». 15 juillet 2014.
10 Ibid.

Cet article fait l'objet d'une discussion sur le blog « Et à l'aurore ».
Les opinions émises dans cet article sont celles de l'auteur et n'engagent aucunement IDEOdynamic®.

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